Chapitre 4 —
Épreuve cuisine
19 décembre 2023
Koh Lanta, il y a 20 ans, c'était la jungle et une île assez peu recommandée pour la villégiature. Tout du moins c'est ce que nous affirme notre hôte, une Américaine qui s'est installée ici il y a 21 ans pour y ouvrir une école de cuisine.
Elle nous décrit une population incontrôlée de chiens sauvages, dangereuse pour les hommes et pour eux-même. C'est pour cela qu'elle a fondé une association de sauvetage pour animaux (mais donc surtout pour des chiens) qui les soigne et les aide à se faire adopter.
Pour aider à financer toute cette opération, les bénéfices de l'école de cuisine sont reversés à l'association.
Nous sommes là pour le cours de cuisine mais l'opportunité de faire des papouilles en même temps ne se refuse pas.
Nous sommes les premiers arrivés dans la cuisine et nous sommes accueillis par un chien qui nous souhaite la bienvenue avec enthousiasme.
La cuisine fait aussi office de bar, avec un espace piscine et des chaises pour faire la causette.
Les autres élèves arrivent au fur et à mesure et nous faisons connaissance. Le cours de cuisine se déroule sur quasiment toute la journée. Nous commençons par des cocktails (bon, à ce moment, il est déjà 11:30) avec la barmaid. Ensuite, nous cuisinons deux entrées (des plats considérés légers) que nous mangerons juste après. Puis nous cuisinons deux plats de plus qui font office de plat principal.
Tout cela est entrecoupé de pauses, de boissons au bar et de plouf dans la piscine. C'est clairement un cours qui penche plus du côté fun que sérieux dans la balance du tourisme culinaire, mais on se laisse faire pour la bonne cause.
Les cocktails que nous faisons sont des assemblages de boissons avec un twist thaïlandais : on utilise de la citronnelle et du piment pour donner une coloration locale.
Une fois que les cocktails ont délié les langues, notre instructeur de cuisine prend le relais. Il introduit la leçon en définissant les trois goûts qui contribuent à l'équilibre des plats : l'acide, le sucré et le salé. Bien sûr, chez les Thaïlandais, on en ajoute un quatrième : le pimenté !
La partie suivante nous éclaire sur notre expérience des jours précédents, dans les différents restaurants que nous avons fréquentés. En effet, les Thaïlandais préparent les ingrédients aromatiques de deux manières : “eat me” et “don't eat me”. C'est-à-dire qu'on les découpe différemment selon qu'ils seront mangés ou juste utilisés pour donner du goût à un plat.
Aller au restaurant en Thaïlande, c'est donc parfois jouer à trier son plat en même temps qu'on le déguste. Ceci explique les grosses tranches de galangal ou de citronnelle, immangeables, que nous avons trouvées dans nos soupes jusqu'à présent.
Nous sommes repartis de ce cours avec beaucoup de recettes et de conseils de préparation pour nos futures sessions de cuisine. Nous décidons de partager avec vous un petit apéritif et un plat.
Pour ce qui est de l'apéritif, il s'agit du mieng kam, ou miang kham, mais le nom de « Thaïlande en une bouchée » sera plus parlant. C'est quelque chose de relativement simple, pourvu que nous ayons les ingrédients sous la main. Évidemment, vu de chez nous, ce sera plutôt compliqué mais essayons quand même. Le plat consiste juste à assembler des ingrédients typiques de la cuisine thaïlandaise et de gober le tout.
Une difficulté sera de mettre la main sur du piper sarmentosum : pas évident à trouver en dehors de l'Asie du Sud-Est. On nous a conseillé de chercher cette plante dans les épiceries asiatiques sous le nom de bai cha plu (du thaï), ou poivre lolot (du vietnamien). À ne pas confondre avec des feuilles de betel. Si on ne le trouve vraiment pas, on peut probablement utiliser des feuilles d'épinards même si le goût ne sera pas pareil.
Voici les ingrédients :
- Des feuilles de piper sarmentosum ; une par bouchée
- des échalottes coupées en dés (ou de l'oignon rouge)
- du gingembre découpé en petits dés fins ou rapé
- des cacahuètes grillées (non salées)
- des tranches de citron vert coupées en petit dés (en gardant la peau)
- des petites crevettes grillées (en gardant la carapace !)
- de la noix de coco rapée et grillée
- des petits piments rouges coupés en dés
- du miel plutôt liquide
Pour chacun de ces ingrédients (sauf les feuilles de piper sarmentruc), considérez qu'il faut environ une cuillère à soupe pour trois bouchées/feuilles. Et pour le piment, c'est bien sûr à votre discrétion, en fonction de votre tolérance.
Pour l'assemblage, on prend une feuille et on la plie en deux, le long de la tige, puis une seconde fois, perpendiculairement au pli précédent. De cette manière, on obtient un petit panier avec trois emplacements, dans lesquels on va venir placer ses ingrédients. Il faut prendre soin de garder le miel pour la fin, car étant liquide, vous risquerez de vous en mettre plein les doigts.
Il ne reste plus qu'à fermer les yeux, déguster en une seule bouchée, être transporté en Thaïlande et enfin se resservir avec empressement.
Espérons que vous avez laissé de la place pour le plat principal, c'est l'occasion de découvrir le curry panang. Ça tombe bien, c'est le curry qui a le plus piqué notre intérêt pendant ces premiers jours en Thaïlande.
Pourquoi le nom panang, ou phanaeng ?
Notre prof nous explique que c'est la position jambes croisées dans laquelle on cuisait traditionnellement le poulet qui allait avec.
On trouve ailleurs le mot malais panggang (« grillé »), pourquoi pas.
Ou alors tout bêtement l'île de Penang, alors que c'est probablement un plat qui mélange des influences thaïlandaises et indiennes musulmanes ; et si c'est pour le mot pinang qui vient de la noix d'arec, dommage, elle ne pointe pas son nez dans la recette.
En conclusion : pour faire parler les bavards.
Faire ou ne pas faire soi-même la pâte de curry ? Soi-même, ça va de soi, c'est bien meilleur et bien plus gratifiant ! Enfin … lisons la recette avant de juger.
- 1 c. à s. de grains de poivre noir
- 2 c. à s. de graines de coriandre
- 2 c. à s. de graines de cumin
- 3 tiges de citronelle (la partie blanche, qui se mange)
- 2,5cm de galangal frais
- 2 c. à c. d'écorce rapée de combava
- 6 feuilles de combava
- 10 gros piments rouges séchés
- 10 piments oiseau séchés
- 4 racines de coriandre, préalablement frappées
- 5 échalottes thaï (ou ½ oignon rouge), préalablement frappées
- 10 gousses d'ail, préalablement frappées
- 2 c. à c. de pâte de crevette
- 2–4 c. à s. d'huile végétale en cas d'utilisation d'un blender
Jusque là on n'a « que » les ingrédients de la pâte de curry rouge (krueng gaeng ped). Pour la pâte de curry panang (krueng gaeng panang), il faut également :
- 2 anis étoilés
- 10 clous de girofle
- 1 baton de cannelle
- 10 graines (sans coquille) de cardamome blanche (ou verte puisque c'est apparemment la même chose)
Couper finement tout les ingrédients, puis les pilonner dans un gros mortier pendant environ 45 minutes.
Au vu des ingrédients et de l'effort, la question de la pâte industrielle se pose. Nous n'avons pas de réponse évidente : même si certains ingrédients sont introuvables, la pâte l'est probablement tout autant. La version fait-maison est assurément meilleure, mais à un moment ça devient plus une séance de gym que de la cuisine. Peut-être qu'un saut à Koh Lanta demande moins d'effort ?
Trêve de considérations théoriques, nous avons tous les ingrédients préparés et l'équipe laisse le mortier quasiment fini aux élèves, avec « seulement » 10 minutes de travail restantes. Un peu d'huile de coude et la magie opère.
Pour passer au plat proprement dit, voici la suite des opérations :
Pour servir 3 ou 4 personnes,
- 4 c. à s. de sauce de poisson (le nuoc mam quoi)
- 2 c. à s. de sauce de tamarin (une dilution sucré-salé de pâte de tamarin à faire soi-même, ça va sans dire)
- 2½ c. à s. de sucre de palme ou 2 c. à s. de sucre brun
Dans un petit bol, mélanger la sauce de poisson, la sauce de tamarin, et le sucre de palme. Remuer jusqu'à dissolution du sucre et réserver.
- 5 c. à s. d'huile de friture
- 3–4 c. à s. de pâte de curry panang qu'on vient de réaliser
Dans un wok, ajouter l'huile et la pâte de curry. Remuer à feu moyen jusqu'à ce que l'huile et la pâte se combinent et que l'arôme se dégage.
- 700mL de lait de coco
Ajouter ⅓ du lait de coco et faire mijoter pendant au moins 2 minutes jusqu'à épaississement. Répéter 2 autres fois.
- 4 c. à s. de cacahuètes non-salées broyées
Ajouter le mélange réservé et les cacahuètes. Mijoter pendant 3 minutes.
- 500g de crevettes crues, pelées (sauf la queue) et de préférence déveinées
- 2 gros piments pas trop piquants, coupés finement en anneaux à l'oblique
- 12 feuilles entières de basilique thaï doux
- 8 feuilles de combava hachées finement
Enfin, ajouter les crevettes, le piment, le basilique et la moitié des feuilles de combava. Remuer doucement pendant encore 15s, ou jusqu'à ce que les crevettes se replient et tournent au rose.
Goûter et ajuster la balance des goûts. Décorer avec le reste des feuilles de combava. Servir avec du riz au jasmin vapeur.
Là, on doit reconnaître que c'est une recette qui demande une grosse organisation. Mais quel résultat ! Un curry riche et raisonnablement relevé, bien sucré-salé et avec le goût de combava qui sort du lot et qui complémente merveilleusement les crevettes.
On ne vous fait pas plus saliver sur ce plat quasiment inatteignable, ce serait méchant.