Travel Bellies

Chapitre 3 —

Gong Xi Fa Chai


8 février 2024

Les festivités du Nouvel An chinois se déroulent sur deux semaines, de la nouvelle lune à la pleine lune. Cette année, elles sont alignées sur les vacances scolaires de la région parisienne : une occasion en or pour que les parents de Daphné nous rejoignent.

Nous les devançons de quelques jours, le temps de leur préparer un peu la maison, faire quelques courses et profiter du calme avant la tempête des festivités.

Comme nous sommes dans le fief du père de Daphné, c'est lui qui organise notre calendrier pour les jours à venir. Essentiellement, il s'agit de repas dans des restaurants ou des food courts, toujours axés autour de la nourriture typique de Penang. Nous retrouvons à intervalles réguliers la famille, les amis d'enfance et les Malaisiens installés en France qui sont revenus pour l'occasion.

Entre deux repas, nous nous abritons dans la fraîcheur (relative) de la maison. Cela nous permet d'enchaîner les siestes à l'abri de la chaleur assommante du milieu de journée. En fin d'après-midi, nous reprenons une douche et nous enchaînons sur le repas suivant. Ici, les gens mangent tôt et c'est d'autant plus difficile de nous y habituer que le rythme alimentaire est effréné et notre faim est inexistante plusieurs jours d'affilé.


Voici donc quelques traditions locales pour communiquer l'ampleur de cette fête dans la diaspora chinoise de Penang. Commençons par le côté nourriture, probablement une des dimensions les plus importantes des fêtes de la communauté chinoise.

Généralement, les repas incluent en entrée du yee sang (parfois écrit yusheng). Il s'agit de la salade de prospérité. On rassemble des ingrédients crus et frais, découpés en julienne : carotte, salade, choux, radis mais aussi du poisson cru et de la méduse. On y ajoute un côté croquant comme des cacahuètes ou des snacks et enfin l'assaisonnement.

Une fois le plat sur la table, tout le monde se met debout, une paire de baguettes à la main. C'est l'heure de mélanger la salade, tous ensemble, en levant les baguettes le plus haut possible pour un maximum de prospérité. Cette prospérité est également amplifiée par le bruit que feront les convives en chantant/criant des vœux de bonne année.

Évidemment, c'est un spectacle à part entière et qui en met partout. Voyez un peu le sort réservé au beau yee sang ci-dessous.

On dirait qu'une tornade est passée par là

Parmi les autres plats, on nous sert aussi du poisson, des légumes, du poulet à différentes sauces. Penang étant une île, beaucoup de plats tournent autour des fruits de mer. Il ne faut pas oublier la boisson : deux types de thés qui représentent le yin et le yang.

Ne salivez pas trop quand même

Au cours des repas, on nous explique la signification de tel ou tel plat, pourquoi un ingrédient est mis en valeur ou encore comment on doit manger certains aliments.
Par exemple, savez-vous que les chinois s'offrent des oranges au Nouvel An chinois ? C'est un fruit de bon augure car en chinois, sa prononciation est proche du mot or.

C'est ainsi que nous découvrons que beaucoup d'objets ont des prononciations proches de argent ou prospérité ou encore richesse et leurs dérivés. En même temps, vu les accents et les prononciations en chinois, il est probable qu'on puisse trouver de multiples significations même aux objets du quotidien les plus insignifiants.

Un autre exemple important : lorsqu'on mange un poisson entier, il ne faut pas le retourner pendant qu'on le décortique. Car poisson en chinois se prononce comme vie et donc retourner un poisson serait synonyme de foutre sa vie en l'air. Et ainsi de suite, pour les ananas et probablement beaucoup d'autres choses que nous n'avons pas remarquées.

Le dragon de la prospérité vous salue

Une autre coutume du Nouvel An chinois est l'an pow qui se décline sous différentes orthographes mais toujours avec le même principe. Les couples mariés donnent des enveloppes rouges aux enfants et adultes non mariés. Également un patron à ses employés, un commerce à ses clients les plus fidèles.

Leur contenu : un peu d'argent pour démarrer l'année sous les meilleurs auspices possibles, c'est l'équivalent de nos étrennes. On les offre en souhaitant Gong Xi Fa Chai, littéralement « je te souhaite de gagner de l'argent » ; c'est une manière auto-réalisatrice de souhaiter la prospérité.

Quelques règles à suivre : pas de 4 car cela se prononce en chinois, qui signifie mort et le chiffre porte donc malheur. Donc pas de $4, $40 ou $400. Le 8 étant porte-bonheur, vous serez bien inspirés d'offrir des enveloppes contenant $8, $80, $800 ou encore $8 888 (là, la prospérité est assurée). Les paires de nombres sont également chanceuses, donc deux billets de même dénomination, super. Tout en respectant l'interdiction du 4, donc pas de 2+2.

Avez-vous bien suivi ? Pas étonnant qu'on prête aux Asiatiques des prédispositions pour les mathématiques.

Ici, l'argent pousse sur les arbres


La prospérité ne connaît pas de répit en cette saison auspicieuse : nous sommes régulièrement surpris par des tambours chinois annonçant la présence d'une danse du lion ou du dragon à proximité. De nombreuses troupes traditionnelles enfilent les costumes et emportent les percussions dans les temples et chez les dévots (si possible généreux) ou encore chaque boutique d'un centre commercial pour réaliser leur mission primordiale. En rejouant les scènes traditionnelles du lion ou du dragon, on apporte prospérité sur un lieu et chacun de ses objets.

Dans les troupes de danse du lion, chaque animal, animé par deux danseurs, parcours son terrain en offrant des mimiques faciales communicatives. On épanche son appétit en lui offrant des fruits et légumes, qui sont absorbés dans son costume et une fois pelés, les restes sont recrachés.

Mention spéciale pour les danses du lion qui sont effectuées sur les poteaux : agilité et précision requises pour éviter de se retrouver avec des dents en moins à la fin de la représentation.

Le dragon, lui, implique une troupe entière. Sa structure en anneaux connectés par des sections flexibles permet aux danseurs agiles de lui donner vie. Un seul participant, à part, contrôle une perle qui attire irrésistiblement la tête du dragon, suivie du reste de son corps. Après moult pirouettes, repliages et spirales sautillantes, le dragon exténué a eu sa dose et laissera la maisonnée prospérer pour au moins une année encore.

Ces danses ancestrales ont évolué, et des variantes géographiques sont fidèlement reproduites à travers la diaspora chinoise. Nous en avons croisé tout un tas, mais nos favorites étaient sans doute au temple du mont Erskine, où deux troupes ont offert un spectacle fabuleux à une toute petite audience, quel luxe ! Nous pouvons confirmer qu'après toute cette agitation tropicale, les danseurs en sueur ont amplement mérité leur déjeuner au marché adjacent.


Il y a aussi une dimension religieuse à ces festivités. Il faut aller prier les ancêtres et les divinités dans les différents temples répartis dans la ville. C'est une activité à laquelle nous ne prenons pas vraiment part.

En revanche, il y a quand même un évènement portes ouvertes dans le centre de Georgetown : le festival de Miao Hui. Une grande partie du centre-ville est piétonnisé et tout le monde y déambule. Il y a des stands, des activités, des scènes avec des spectacles de toutes les communautés, même le club de zumba de pré-retraités s'y est mis !

Il y a, entre autres, les portes ouvertes des temples et des clan houses du quartier. C'est donc l'opportunité de présenter les maisons de clan penangites. Elles sont le résultat de l'immigration chinoise : les clans se forment en regroupant des membres originaires d'un même village ou autour d'une même profession.

Les clans s'organisent pour monter des autels à la gloire des ancêtres, accueillir les nouveaux membres fraîchement débarqués du pays, les aider à trouver un travail, etc. Bien sûr, il est facile d'imaginer que ces organisations puissent tirer vers des pratiques mafieuses mais les musées ne s'attardent pas dessus.

Passer plusieurs jours à Penang pour le Nouvel An chinois a dépassé nos attentes, tant sur l'ampleur de la fête qu'au sujet de ce qui a terminé dans notre estomac. Une chose est sûre : les Bellies sont repus. De plus, ça nous a permis de découvrir à quel point les Chinois aiment l'argent, la superstition, mais surtout bien manger ! Voici de nouveaux préjugés qui vont nous suivre longtemps.