Chapitre 1 —
Salar de rien comme ça
12 juin 2023
Ça y est, il est l'heure de quitter le Chili. Après un mois entier à remonter le pays, nous nous apprêtons à franchir la frontière et passer en Bolivie. Et oui, vous l'avez compris, nous avons signé pour un trek trois jours deux nuits à travers le Sud Lípez jusqu'au fameux Salar de Thunupa, renommé d'Uyuni pour faire simple.
NDLR : Au vu des trois jours chargés à déblatérer, cet article est plus long que d'habitude. Prévoyez un maté pour tenir le coup.
Trek, jour 1. À 6:30 dans le hall de notre auberge, tous beaux, tous frais, prêts à être récupérés par un minibus qui doit nous conduire à la frontière.
Avec nous, dans le minibus, un couple de Brésiliens, ne parlant que leur langue natale. Nous nous rendrons compte par la suite, que des Français qui baragouinent l'espagnol et des Brésiliens attentifs sont capables de s'entendre et se comprendre, au moins pendant trois jours.
Nous passons d'abord le poste de frontière chilien. Et cinq minutes plus tard, nous arrivons au poste de frontière bolivien. L'endroit est petit, plutôt vétuste et tout le monde fait la queue dehors dans le vent. Avec nous, à préparer leurs passeports pour un nouveau tampon, la horde des touristes partis eux aussi vers 6:30 pour le même trek, à répartir en groupes de 4 à 6.
On nous offre le petit déjeuner et nous changeons de véhicule. C'est ici que nous rencontrons Wilmer, notre chauffeur-mécanicien-guide-cuisinier-photographe. À 4 passagers et un chauffeur dans le 4x4, nous pouvons mettre nos affaires sur les sièges arrière. Sinon, ça aurait été refourgué sur le toit, à la merci de la poussière du désert.
Une autre escale aux douanes, un paiement pour l'entrée du parc Reserva Nacional de Fauna Andina Eduardo Avaroa et nous voilà prêts pour l'aventure.
L'enthousiasme se fait sentir. On fait connaissance et sans plus attendre notre équipée sauvage s'élance sur les routes du Sud Lípez.
Les premières étapes arrivent tout de suite après le poste frontière : les lagunas blanca et verde, colorées par les résidus minéraux qui recouvrent leur fonds. C'est le début de l'hiver, donc les lacs sont semi-gelés ; l'ensemble forme un tableau saisissant. La fatigue des réveils matinaux cumulés est également saisissante.
Wilmer, le froid et le vent, nous poussent à garder le rythme, le jeep redémarre. Étape suivante sur le programme, un renard vient nous voir. Wilmer a tout prévu, les galettes de riz sont envoyées par la fenêtre. La chorégraphie dure 3 ou 4 galettes, puis le renard repart avec son pourboire vers d'autres aventures.
La route continue, et nous nous habituons à l'absence de goudron, à la danse des suspensions, au méli-mélo de sentiers qui racontent les sautes d'humeurs des conducteurs précédents. Juste avant l'heure de déjeuner (pardon, d'almorzar), nous sommes droppés avec les autres touristes aux thermes de Polque. On retrouve l'ambiance colo, chacun s'exclame sur les différences de température, ohlala c'est froid, ohlala c'est chaud, ohlala quand on est mouillé le vent c'est froid. Mais vraiment, le bain fait très plaisir et les 10 minutes de détente sont bienvenues après les attentes administratives dans le froid du petit matin.
Nous nous séchons tant bien que mal (vous ai-je déjà dit que quand on est mouillé le vent c'est froid ?), et nous dirigeons vers la salle à manger. Nous sommes servis formidablement bien, trop même, et c'est l'occasion de développer le jeu des sept erreurs linguistiques sur le vocabulaire culinaire entre espagnol, français, portugais et anglais. Ce sympathique jeu continuera trois jours durant.
C'est bon, le chaud/froid et la digestion auront raison de nous, Wilmer sera dorénavant accompagné de passagers inertes pendant une bonne partie des étapes à venir. Il faut juste nous secouer en arrivant aux spots touristiques.
S'enchaînent d'autres lieux inénarrables comme le désert de Dali, les geysers de Mañana puis le clou du spectacle : la laguna colorada.
Il s'agit d'un lac tout à fait spectaculaire, de par ses couleurs qui vont du rose au blanc en passant par une palette qui ferait rougir Pantone.
Mais il faut aussi mentionner la présence des flamants roses qui broutent ce que le lac a à leur offrir. C'est-à-dire essentiellement des micro-organismes et des algues.
Encore un peu de route et nous arrivons à notre premier hostal. C'est ici que nous passerons la nuit. La plupart des chambres sont des petits dortoirs de 4 lits.
Comme nous ne sommes que 4 ce soir, nous avons le droit de ne pas faire chambre commune. Chaque couple a sa chambre. L'auberge a des allures d'hôtel fantôme. Après le dîner, tout le monde se précipite sous sa pile de couvertures et on se dit à demain pour de nouvelles aventures.
Trek, jour 2. Nous nous réveillons à 8:00. Après notre petit déjeuner, toute la troupe embarque plutôt reposée.
Premières étapes, dans ce qui semble être une forêt de pierres. Il faut que nous soyons transportés d'un fameux caillou à un autre. À chacun son interprétation des formes qui se découpent sur le ciel toujours aussi bleu.
À bord de notre 4x4, nous croisons régulièrement des troupeaux de lamas, ce qui est pour nous le comble de l'excitation. Notre chauffeur, pour qui ceci n'est pas plus incroyable que de croiser un troupeau de moutons, a la patience de nous laisser aller à leur rencontre. Nous nous retenons difficilement d'aller leur faire des câlins.
Arrêt suivant, la laguna negra. C'est à ce moment que nous avons la chance de surprendre des vizcachas, habitants endémiques de la région. La description qui correspond le mieux à cette grosse touffe de poil est : un mélange entre un gros lapin, une gerbille et un chinchilla, avec une queue d'écureuil.
Quelques minutes de marche et nous arrivons à ce qui sert de cantine. Une grande salle, bordée d'une boutique et d'une cuisine. Chaque groupe de touristes est attablé avec son chauffeur-mécanicien-guide-cuisinier-photographe. La plupart des tables sont occupées. On imagine avec difficulté le bruit qu'il doit y régner lors de la haute saison.
Nous avons posé la question à notre expert. En haute saison, c'est une horde de 70 à 80 tout terrains pleins à craquer qui poncent les routes. Il nous semble qu'on doit être une quinzaine de groupes maximum à tourner ici. Et encore, chaque groupe a son rythme et nous ne nous marchons pas trop sur les pieds.
La sieste digestive nous transporte miraculeusement jusqu'à d'autres points de vue : le mirador de l'anaconda et son canyon, le mirador Sora, encore plus de troupeaux de lamas et de vicuñas. Un petit café nous sert des bières locales, mais surtout du wifi pour enfin donner signe de vie aux autorités parentales. Puis nous voilà repartis et arrivés à notre hôtel pour la seconde nuit. Et puisqu'il faut faire plaisir aux touristes, il s'agit d'un hôtel de sel.
Bon, tout l'hôtel n'est pas fait que de sel, mais une partie des murs et du mobilier l'est. Nous dînons sur une table de sel, et dormons sur un lit de sel. On vous rassure, il y a bien un matelas entre nous et le sel.
Toute la troupe se couche de bonne heure, demain le réveil est réglé sur 5:00.
Trek, jour 3. Départ matinal et le Toyota s'élance alors qu'il fait encore nuit hors du parking, à travers le petit village, une route de poussière, un autre village et la route disparaît ! Enfin, elle disparaît : la lumière des phares n'éclaire qu'un bout de sol blanc qui paraît s'étendre à l'infini.
Notre conducteur nous surprend en éteignant les phares, semble évaluer quelque chose, les rallume et se tourne vers nous.
Il nous demande si nous voulons nous arrêter pour regarder les étoiles.
La réponse ne se fait pas attendre et nous nous écartons de la ligne droite que nous suivions pour se garer quelques minutes.
Tout le monde sort, le nez en l'air.
Quel beau spectacle !
On se remet en sel et la traversée reprend de plus belle.
L'aube est percevable mais pas encore suffisamment pour briser la magie de la nuit au-dessus du salar.
Sans GPS, avec visiblement son unique expertise, notre conducteur finit par nous déposer au pied d'une île au milieu du salar que nous venons de traverser.
En même temps, c'est le seul relief à la ronde.
Il s'agit de l'île Incahuasi et nous ne sommes pas les premiers arrivés.
Nous suivons le petit chemin de randonnée à travers les cactus et arrivons un peu essoufflés au sommet.
Oui, nous sommes essoufflés, mais c'est la faute aux 4000m d'altitude.
Tout le monde trouve son spot, s'assied et contemple l'horizon. Les appareils photos, les téléphones, les gopro, tout le matériel est de sortie et prêt à capturer le lever de soleil sur un paysage définitivement unique.
Tout le monde se les gèle en méditant sur l'âge des cactus, millénaires d'après l'écriteau. Comme promis, le soleil pointe son gros nez rond et éblouit tous les appareils réglés pour la pénombre. Nous ne savons plus où donner de la tête, entre les contrastes de l'île en contre-jour et l'ombre géométrique de la colline sur le plan mathématique du salar. Les touristes, qui girouettent comme à Roland-Garros, atteignent peu à peu la révélation spirituelle que les rayons mystiques du soleil ne chauffent pas assez vite. On remballe le fatras et c'est reparti pour une caminata par l'autre sentier.
Arrivés sur le sel ferme, nous nous jetons sur les victuailles fraîchement dressées sur une des tables de sel. Nous arrivons à détourner l'attention des tartines sous nos yeux, pour découvrir avec affolement la faible quantité de café qui reste dans le sucre que Wilmer s'envoie. Après, c'est lui qui tient la baraque, donc on ne pipera mot.
Activité admiration de la faune locale. Comme toujours, c'est l'appât du gain calorique qui fait sortir le félin du bois.
Pas de temps à perdre, il est l'heure d'aller à la destination la plus attendue.
Le plan d'intérêt.
Nous sautons au sel, au milieu de rien, dans une très légère cavité afin de bien exagérer le blanc infini.
La pression est élevée, ce site est connu pour les photos loufoques qu'il permet. En bons touristes, nous devons nous montrer au niveau des attentes. Wilmer nous fait prendre les photos standards, après quoi on lui propose nos propres locuras. Certaines de ces dingueries sortent moins mal que d'autres, nous vous laisserons juger.
Une fois que tous nos désirs de gloire photographiée sont rassasiés, nous nous remettons en route. La journée n'est pas encore terminée. Nous nous arrêtons au premier hôtel de sel ayant été construit. Malheureusement, il n'est plus en service. Eh oui, c'est compliqué de bien gérer les canalisations au milieu du plus grand désert de sel au monde.
Juste devant, un champ où chaque nationalité ou séparatiste régional a apporté son drapeau à l'édifice. À proximité, un monument au souvenir du Rallye Dakar de 2014.
À l'arrivée à Uyuni, nous faisons un ultime détour vers le cimetière de trains juste au sud de la ville. S'y entassent des locomotives à vapeur rouillées, souvenirs d'un réseau ferroviaire désormais bien amoindri. Nous vous épargnons cette dernière couche de sempiternelles photos de touristes.
Repas final avec notre équipe dans un restaurant très bolivien : gratin de quinoa et steak de lama. Et il est temps de se dire au revoir. Nous remercions chaleureusement notre chauffeur-mécanicien-guide-cuisinier-photographe, c'est vraiment le sel de la terre.
Nous passerons une après-midi et une nuit à Uyuni, de retour à la civilisation et au chauffage, à visiter le musée ferroviaire un peu triste et commencer à découvrir la Bolivie citadine. Et puis c'est parti vers d'autres horizons boliviens !
P.S. : on sel haché sur les blagues, ne nous en voulez pas 😇